Bilan sur les espèces de bryophytes de la Liste Rouge Auvergne

14/09/2021

Lors des premières rencontres bryologiques qui se sont déroulées en 2011 à Paris, le Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a rappelé que la mise en place d'une démarche globale de conservation implique de développer des outils de connaissance et d'évaluation, notamment des listes rouges permettant d’évaluer les degrés de menace pesant sur chacune des espèces. Cet outil d’évaluation, dont la finalité est de contribuer à la conservation de la diversité biologique, peut être utilisé dans les politiques d’aménagement du territoire, dans le cadre des projets d’urbanisation, de transport, d’agriculture ou de tourisme. L’identification des espèces prioritaires permet la sensibilisation du public et la mise en œuvre pratique de plans de conservation. Grâce à cet instrument, le suivi de la diversité biologique peut également être effectuée sur des bases objectives. Une liste rouge est un outil visant à fournir une base cohérente pour établir des priorités de conservation et identifier sur des bases scientifiques les espèces devant bénéficier d’un régime de protection (UICN 2011). Dès 1996, HODGETTS a souligné l’importance des listes rouges dans la démarche de conservation des bryophytes. Depuis cette date, les listes rouges se sont multipliées en Europe, de sorte qu’aujourd’hui, de nombreux pays en possèdent. C’est le cas de la Suisse (SCHNYDER et al. 2004), de la Belgique (DE ZUTTERE & SCHUMACKER 1984), de l’Allemagne (LUDWIG et al. 1996), de l’Italie (ALEFFI & SCHUMACKER 1995 ; CORTINI PEDROTTI & ALEFFI 1992), du Royaume-Uni (CHURCH et al. 2004), du Luxembourg (WERNER 2003), de l’Espagne (GARILLETI & ALBERTOS 2012), de la Bulgarie (NATCHEVA et al. 2006)… En dehors de la France, les listes rouges régionales sont également très nombreuses. Il n’existe cependant pas encore de liste rouge nationale en France. Notons qu’une « étude préalable à l’établissement du livre rouge des bryophytes menacées de France métropolitaine » (DEPÉRIERSROBBE 2000) a été diffusée assez largement, sans publication officielle cependant. Ce travail est basé sur une sélection arbitraire de 80 espèces effectuée par SCHUMACKER & MARTINY (1994) mais ne suit pas la méthodologie édictée par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la Nature). Elle s’en écarte notamment par le fait qu’un poids plus important est accordé à la rareté qu’à la menace sans que les critères soient clairement explicités. Plusieurs listes rouges régionales de bryophytes ont vu le jour ces dernières années en France. La Picardie (HAUGUEL & WATTEZ 2008), la Lorraine (MAHÉVAS et al. 2010) et la Franche-Comté (BAILLY et al. 2009) sont désormais couvertes. En Auvergne, une liste rouge a récemment été établie. Elle est téléchargeable ici :

 HUGONNOT V. & CELLE J. 2015. Première liste rouge des bryophytes d’Auvergne. Evaxiana 1 : 5-29.

Chacune des espèces considérées comme menacées dans ce document fait l’objet de recherches spécifiques. Une fiche de synthèse est rédigée pour chacune d’entre elles, suivant l’exemple ci-dessous :

 


Meesia triquetra (L. ex Jolycl.) Ångstr.

Habitat

Bas-marais minérotrophiles de bas niveau topographique, à couverture vasculaire éparse, constamment alimenté par une eau faiblement minéralisée, pure et oligotrophe. 

Espèces accompagnatrices

Meesia triquetra est le plus souvent accompagné de Sphagnum teres, S. contortum, Calliergon giganteum, Hamatocaulis vernicosus, Drepanocladus trifarius.

Phytosociologie

Les végétations des bas-marais pionniers minérotrophiles sont mal connues en Auvergne et en France. Elles sont souvent rattachées au Caricion lasiocarpae Vanden Berghen in Lebrun, Noirfalise, Heinemann & Vanden Berghen 1949 bien que cette alliance regroupe une grande diversité de communautés assez distinctes les unes des autres. S’insère plus précisément dans le Stygio-Caricion limosae Nordhagen 1943.

Chorologie en Auvergne

Une seule population connue, dans le Puy-de-Dôme, dans la Réserve naturelle nationale de la Godivelle, où 3 noyaux peu distants les uns des autres sont recensés actuellement. Autrefois recensé dans le Cézallier (Puy-de-Dôme) et en Margeride (Haute-Loire).

Chorologie mondiale

Espèce circumboréale, boréo-arctique. Amérique du Nord, Europe, Asie. Disjoint en Australie. En Europe, du Svalbard à la région méditerranéenne (en localités disjointes), et jusqu’au Caucase à l’Est. En France, espèce rare, présente dans le Jura, les Alpes et le Massif central.

Amplitude altitudinale

Espèce montagnarde, uniquement présente au-dessus de 1000 m. Amplitude altitudinale plus large par le passé.

Problèmes taxonomiques

Des spécimens authentiques ont été vérifiés en herbier. Des confusions ont pu se produire avec d’autres membres de la famille des Meesiaceae, en particulier M. longiseta, dont il n’existe aucune mention dans la littérature bryologique. Cette espèce a existé en Auvergne comme en témoigne sa présence à l’état sub-fossile dans les couches de tourbe.

Reproduction

Espèce dioïque, aujourd’hui le plus souvent stérile. Les populations auvergnates anciennes étaient constituées d’individus mâles et femelles et produisaient probablement plus régulièrement des sporophytes qu’aujourd’hui. La reproduction sexuée est exceptionnelle de nos jours. Elle a été constatée dans la tourbière de la Godivelle, où des individus mâles sont présents. Les populations actuelles restent soit totalement stériles (pas de gamétanges) ou ne sont constituées que d’individus femelles.

Rareté

Espèce extrêmement rare, qui était plus fréquente autrefois dans les habitats favorables.

Statut liste rouge Auvergne : RE ? Cette espèce a pu être retrouvée dans le site de la tourbière de la Godivelle, à la fois dans la tourbière intègre et dans des fosses d’extraction anciennes. Doit être considéré comme CR à la lumière des nouvelles observations.

Statut en France

Espèce gravement menacée en France par une évolution défavorable généralisée des bas-marais minérotrophiles. Nécessite un plan d’action national afin d’enrayer son déclin.

Menaces et conservation

Espèce considérée comme disparue d’Auvergne dans la liste rouge. Elle subsiste dans le Puy-de-Dôme, uniquement dans la tourbière de la Godivelle (3 noyaux disjoints). En revanche, n’a pu être retrouvée dans les autres sites tourbeux du Puy-de-Dôme ni en Haute-Loire (domaine du Sauvage). La population de Haute-Loire était extrêmement faible (quelques individus sur 5 cm²). Cette espèce est gravement menacée de disparition à court terme. Tous les sites à Meesia triquetra sont en voie d’évolution rapide en raison d’une combinaison de facteurs défavorables : alimentation en eau perturbée, pollution trophique, évolution de la végétation par densification du couvert (transformation des bas-marais pionniers en mégaphorbaies à forte productivité végétale), acidification etc. Des actions conservatoires devraient être mises en place de façon urgente sous peine de voir disparaître cette espèce d’Auvergne.